Quand l’automobile française devient une œuvre d’art : une exposition d’exception à Saint-Louis
En plein cœur du Midwest américain, le Saint Louis Art Museum (SLAM) rend hommage à l’âge d’or de l’automobile française avec une exposition aussi somptueuse que rare : “Roaring: Art, Fashion, and the Automobile in France, 1918–1939”. Un voyage dans le temps où les carrosseries se muent en sculptures roulantes et où l’élégance de la mode dialoguent avec les lignes Art déco des machines.
Dans le monde des expositions automobiles, il y a des rendez-vous que les amateurs de voitures classiques notent d’emblée en lettres capitales. L’exposition “Roaring”, visible jusqu’au 27 juillet 2025 au Saint Louis Art Museum, fait partie de ceux-là. À travers douze automobiles parmi les plus précieuses du patrimoine roulant français — Bugatti, Delage, Hispano-Suiza, Talbot-Lago ou encore Alfa Romeo —, ce sont deux décennies de créativité fulgurante que le musée américain met en scène, dans un dialogue inédit entre art, mode et technologie.
Une époque de modernité flamboyante
La période couverte par l’exposition, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à la veille du second conflit mondial, constitue sans doute l’un des âges les plus féconds de la création industrielle française. L’automobile y devient bien plus qu’un moyen de locomotion : elle s’affirme comme un objet de luxe, de style et d’innovation. Le moteur se cache derrière des carrosseries signées des plus grands noms — Figoni & Falaschi, Chapron, Vanvooren —, tandis que la silhouette des voitures épouse les canons de l’Art déco.
Mais “Roaring” ne se contente pas de juxtaposer douze voitures exceptionnelles. L’exposition les entoure de plus de cent objets artistiques : peintures, sculptures, textiles, vêtements, mobilier, affiches, films d’époque… De quoi replacer l’automobile dans son contexte culturel, esthétique et même politique, comme un emblème de progrès, de vitesse, de luxe — mais aussi de libération, notamment pour les femmes.
Douze voitures, douze joyaux mécaniques
Difficile de ne pas frissonner à la simple évocation des modèles exposés. Le clou du spectacle, c’est sans conteste la Bugatti Type 41 Royale, un mastodonte de 19 pieds de long (près de 6 mètres) conçu par Ettore Bugatti pour une clientèle… royale. Seuls six exemplaires verront le jour, et celui présenté à Saint-Louis provient directement des collections du Henry Ford Museum. Détail chic : l’ornement de capot, en forme d’éléphant cabré, est signé du frère du constructeur, le sculpteur Rembrandt Bugatti.
À ses côtés trône une Delahaye 135MS Roadster de 1937 carrossée par Giuseppe Figoni, juste après son association avec Ovidio Falaschi. Sa silhouette élancée, toute en galbes aérodynamiques, rappelle les voiliers de régate et se pare d’un intérieur en cuir signé Hermès. Oui, Hermès. Parce qu’en ce temps-là, la haute couture se penchait déjà sur l’automobile.
Autre pièce maîtresse : la Delage D8-120 de 1937 carrossée par Chapron. Avec ses proportions parfaites et sa finition chromée, elle incarne l’idée même du raffinement à la française, taillé dans l’acier. La Hispano-Suiza Skiff Torpedo de 1925, au design signé Henri-Labourdette, évoque quant à elle le yachting, avec une carrosserie en bois verni aux allures de canot automobile.
Et ce n’est pas tout : on y croise également une Alfa Romeo 6C 1750 dessinée par Ugo Zagato, une Bugatti Type 32 “Tank”, une Bugatti Type 57C “Shah” carrossée par Vanvooren, ou encore une Talbot-Lago T150C-SS Teardrop Coupé au châssis en acier et carrosserie en aluminium poli. Un condensé de savoir-faire, de génie mécanique et de poésie roulante.
Une scénographie au croisement des disciplines
Cette exposition n’aurait pas vu le jour sans la collaboration étroite entre deux figures du monde muséal et automobile : Genny Cortinovis, conservatrice des arts décoratifs pour la Andrew W. Mellon Foundation, et Ken Gross, célèbre commissaire d’expositions automobiles, qui a su convaincre les plus grands collectionneurs de prêter leurs trésors.
Leur approche est résolument transversale. Les voitures ne sont pas isolées sur des podiums, mais mises en contexte, entourées de vêtements d’époque signés Delauney ou Heim, de flacons de parfum Lalique, de meubles aux lignes tendues et de films d’archives. Une mise en scène qui séduira autant les passionnés d’automobile que les amateurs de design, de mode ou d’histoire.
Ce parti pris fait écho à une époque où les frontières entre les disciplines s’effacent. L’automobile n’est plus un objet technique, mais un symbole de style de vie. À l’instar des tailleurs Chanel ou des créations de Paul Poiret, ces voitures expriment une vision du monde : moderne, élégante, tournée vers l’avenir.
Pourquoi faut-il traverser l’Atlantique pour une expo sur les voitures françaises ?
La question mérite d’être posée. Pourquoi une telle exposition n’a-t-elle pas lieu à Paris, Mulhouse ou même Rétromobile ? La réponse est à chercher du côté des mécènes et des institutions muséales américaines, où l’art automobile est depuis longtemps reconnu comme un domaine à part entière. C’est aussi un signe de la passion intacte que nourrissent les Américains pour le style français, en particulier celui de l’entre-deux-guerres.
Et pour les plus sceptiques : oui, le voyage jusqu’à Saint-Louis (Missouri) est long. Mais si vous cherchez une bonne excuse pour une escapade culturelle à deux, “Roaring” offre l’alibi parfait. Tandis que vous admirez les lignes sensuelles d’une Talbot-Lago, votre moitié pourra se perdre dans les robes en soie des années folles ou les bijoux Art déco. Tout le monde y trouve son compte.
Le mot de la fin
“Roaring: Art, Fashion, and the Automobile in France, 1918–1939” est bien plus qu’une exposition de voitures anciennes. C’est une déclaration d’amour à une époque où la France dictait les règles du bon goût, sur la route comme sur les podiums. Une époque où rouler, c’était rayonner. Et même à 8 000 kilomètres de Paris, ce pan de notre patrimoine trouve ici un écrin à sa mesure.
Alors, si vous êtes de passage aux États-Unis cet été, prenez le volant (ou l’avion) jusqu’à Saint-Louis. Le musée vous attend, moteur battant, pour un moment suspendu entre le rugissement des moteurs et le bruissement de la soie.
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